Déjà en 1987, Monory, ministre de l’Education nationale d’alors, avait créé un nouveau statut de directeur et même sorti le décret. Mais devant la révolte des institutrices et des instituteurs, il avait du y renoncer et le retirer.
Serons-nous en force de construire une opposition ? Le parallèle que nous vivons aujourd’hui avec l’année 86-87 est troublant : lycéen-nes dans la rue, contestation sociale, refus des politiques… Depuis 1987, les propos et les questions politiques et sociales restent les mêmes et font écho avec la situation dans laquelle est l’école aujourd’hui, il suffit de lire la lettre adressée à M. Monory par la coordination parisienne des instituteurs.
«Lettre ouverte à Mr Monory :
Délibérément opposés à la mise en place des maîtres-directeurs, « remède miracle » au malaise de l’école, nous avons à cœur de répondre à la lettre adressée à chaque instituteur pour dénoncer la démagogie qu’elle reflète, la division qu’elle suscite ainsi que l’absence de la question de fond : quel instituteur, pour quelle école, pour quelle société ?
Nous n’avons pas attendu votre lettre pour nous informer et mesurer objectivement les dangers engendrés par un tel décret.
Peut-on définir comme large une concertation qui a fait naître une si large contestation ? Les derniers sondages sont massivement contre ce statut, la coordination recueille un pourcentage important d’opinions favorables et les parents honnêtement renseignés ne confirment pas l’avis selon lequel ils désireraient ce statut . S’il subsiste une réelle contradiction entre les concertations et ce qu’il en résulte pour les usagers, c’est que le dit statut n’apporte aucune amélioration dans la pratique de notre métier, bien au contraire.
L’illusoire considération que vous accordez aux directeurs par la reconnaissance de leur responsabilité transformera l’instituteur en une véritable marionnette. Or, c’est la dignité, et non la notation qui est le fondement même de notre activité professionnelle. Affirmer qu’elle ne sera pas modifiée, c’est ne pas comprendre la part des rapports humains dans l’acte d’enseigner. Si l’enfant n’a comme modèle immédiat qu’un adulte servile, quel adulte sera-t-il ? Car c’est bien de servilité dont il s’agira ! Sans statut, les abus de pouvoir étaient déjà connus, vous avez signé un chèque en blanc à la perversion du pouvoir.
Notre autonomie pédagogique et nos capacités d’initiative dépendront des moyens que le maître-directeur voudra bien mettre à notre disposition ou nous obligera à adopter ( répartition des enfants, du budget, coopérative, classes de nature, locaux, …). Lors d’un éventuel désaccord, il ne nous restera que deux attitudes possibles selon notre personnalité : agir sous contrainte ou réagir, dans les deux cas les enfants ressentiront l’atmosphère divisée et incoordonnée. La seule équipe pédagogique possible dans ces conditions sera une fusion unificatrice par la soumission et non une cohésion par le respect de la diversité, source de richesse pour l’individu. En résumé, vous nous proposez donc de travailler dans la défiance et l’indignité.
La revalorisation matérielle, d’ailleurs très insuffisante, que vous annoncez n’est pas une initiative de ce gouvernement mais la continuité du plan de revalorisation prévu de 1982 à 1988.
Quant à la revalorisation morale, quelle méprisante façon de l’envisager que de provoquer une rupture de contrat : la reconnaissance d’une responsabilité individuelle qui préservait l’attrait pour ce métier est annihilée par un regain de hiérarchisation.
A Paris, il y avait depuis bien longtemps plus de candidats directeurs que de postes déchargés à pourvoir. Un poste si demandé était-il à revaloriser alors que malgré un chômage important dans la jeunesse, les candidats manquent pour les postes d’instituteurs.
Si les « meilleurs » des instituteurs doivent devenir maîtres-directeurs pour être revalorisés, qui restera au contact direct des élèves : les moins expérimentés parce qu’en début de carrière ou ceux qui n’auront pas été jugés dignes d’être maître-directeur ? Êtes vous sûr que l’augmentation de salaire subordonné à la requête d’une position hiérarchique soit la seule promotion envisageable par un instituteur dès son entrée dans la carrière ?
Nous affirmons qu’une réelle considération financière et morale est attachée à sa fonction propre et qu’un légitime mieux être face aux élèves dans les classes sont davantage souhaités et souhaitables qu’un plus être derrière un bureau directorial. Élargir nos perspectives de carrière c’est nous permettre d’exercer notre métier dans de bonnes conditions : moyens financiers, confiance, possibilité de gestion du poste administratif par roulement ou élection, formation possible pour tous…afin de ne pas contraindre l’instituteur à se détacher de son travail. Même dans les entreprises que vous prenez en exemple, les lignes hiérarchiques se réduisent. En accordant une plus grande responsabilité à chacun, on renforce la motivation individuelle pour le but commun.
Sous-payés, sous-considérés, les instituteurs seront-ils réduits à produire des sous-citoyens ? La civilisation du 21ème siècle dans laquelle vous entendez faire entrer l’école sera solidaire ou ne sera plus.
Le problème qui se pose n’est pas de nous déplaire ou de provoquer nos organisations professionnelles (comme le nôtre n’est pas de nous déconsidérer face à l’opinion) mais d’agir en toute lucidité pour éviter tout système limitatif voire destructeur de l’individu et construire une école dont le but sera le développement d’êtres autonomes, responsables et surtout, encore humain.
Coordination parisienne des instituteurs. »
(extrait de « Instituteurs-1987 LA REVOLTE » – Bernard Brillant – Frederic Chemery)