Épisode 1 : l’école du peuple.
Première école publique, laïque et gratuite : Jules Ferry en PLS*
*Position Libérale sur la Scolarité
18 Mars 1871, Thiers et ses sbires ont abandonné Paris, pour se retrancher à Versailles et organiser la contre attaque, dont on connaît désormais la fin tragique, 72 jours plus tard.
Tactique bien connu de la terre brulée, ils organisent… la désorganisation, en faisant ordonner que tous les fonctionnaires et agents des ministères publics abandonnent leurs postes et emportent du matériel et des outils administratifs (registres, caisses, tampons…etc).
Les finances, l’hôpital, la poste, la voirie, l’éclairage, la police restent désormais à s’approprier par le peuple de Paris pour que la ville, de presque 2 millions d’habitant.e.s, puisse s’auto-organiser et fonctionner à nouveau. Certaines mairies d’arrondissement dont les tenant.e.s n’avaient pas rejoints Versailles et qui faisaient de la résistance, sont reprises par la garde nationale, vouée à la cause des communard.e.s.
L’école, elle aussi est à reconquérir !
A ce moment là, ce sont 250 000 enfants qui sont en âge d’être scolarisés. Un tiers n’accède tout simplement pas à l’école, le reste se répartissant pour moitié dans les écoles confessionnelles, pour l’autre dans les écoles communales. Mais dans tous les cas c’est l’église qui fournit les enseignant.e.s.
Une école de la république, celle ouverte à tou.te.s, commune donc !
S’appuyant sur le décret de séparation de l’église et de l’état et de suppression du budget des cultes, (celui du 2 avril 1871, hein, pas de 1905 !) la Commune institue l’école obligatoire, gratuite et laïque pour tou.te.s. La commission de l’enseignement, constitué dès la deuxième séance, charge les arrondissements de mettre en œuvre la réforme.
Une fois les bâtiments réquisitionnés et repris aux congrégations religieuse, ainsi que le recrutement des enseignant.e.s mis en place dans le courant du mois d’Avril 1871, le travail de fond peut commencer.
Une des premières mesures est l’égalité salariale entre les hommes et les femmes enseignant.e.s, des écoles de filles s’ouvrent aussi déjà rapidement.
Ecole publique et laïque oui, mais aussi intégrale !
Dans son contenu également l’école de la commune s’engage, conforme au principe d’égalité, dans la voie d’une éducation intégrale.
Héritière de l’école polytechnique portée par l’Association Internationale des Travailleurs (AIT) et inspirée des principes pédagogiques du mouvement ouvrier socialiste, l’école de la commune organise ses programmes autour de la complémentarité entre culture générale et formation professionnelle. La bourgeoisie ne peut pas être la seule tenante du « savoir savant », ou d’une culture artistique et littéraire. Aussi, chacun.e doit être en mesure de répondre aux besoins collectifs en s’émancipant de la division sociale du travail.
Évacuant la hiérarchie des savoirs, faisant une nouvelle place à la formation professionnelle pour tou.te.s, la Commune vise à se doter d’une école en mesure d’assurer une éducation intégrale.
Il est fait appel aux ouvrier.es pour assurer l’enseignement dans les écoles professionnelles qui voient le jour. Dans le sillage du manifeste de la fédération des artistes, animée par Gustave Courbet, les artistes font aussi leur entrée dans les écoles.
Le chantier est immense, le projet est ambitieux et va au-delà de l’école élémentaire :
L’institutrice Marguerite Tinayre, passionnée de pédagogie, est nommée le 11 avril inspectrice générale des livres et des méthodes d’enseignement dans les écoles de filles de la Seine.
Les 15 et 17 mai 1871 : au nom de la Société des Amis de l’enseignement, Marie Verdure et Élie Ducoudray présentent à la Commission de l’enseignement un projet de création et d’organisation des crèches. Prémices de l’institution telle qu’elle existe aujourd’hui, elle dépasse (déjà !) le souci de la simple « garde » des enfants, considère comme essentiels l’accueil éducatif du tout-petit, son éveil, l’affection à lui prodiguer, sa sécurité, les soins et son entourage.
Édouard Vaillant et la commission de l’enseignement pensent aussi au secondaire : le 11 mai, les écoles secondaires Turgot et Colbert, comptant 1000 élèves d’origine bourgeoise, sont réquisitionnées par la Commune.
Vaillant veut aussi réorganiser l’Université. Mais, là encore, forte opposition des Versaillais qui transfèrent à Tours l’Ecole Polytechnique pour éviter que les jeunes élèves officiers suivent l’exemple du polytechnicien Rossel rallié à la Commune ; les profs de l’école de Médecine fuient à Versailles également. De leur coté des étudiants des écoles de Pharmacie, des Mines, de Médecine, des Beaux-Arts et de Droit signent un manifeste soutenant la Commune.
Un projet d’école bien gênant qui aurait eu besoin de temps pour s’installer.
Durant 72 jours, ce foisonnement éducatif, culturel et artistique extraordinaire a permis d’imaginer ce qui aurait pu se faire avec du temps…
En même temps que la lutte sur les barricades pour défendre la Commune, les membres de sa commission d’enseignement ont tenté d’accomplir leur tâche en faveur d’une éducation nouvelle, intégrale, pour former des êtres libérés des chaînes de l’aliénation.
Stoppé net par la semaine sanglante et faute de temps, ce projet n’a pas eu l’occasion de montrer l’étendue de ses ambitions.
Très rapidement, cet épisode progressiste a été évacué, et même au-delà puisque Jules Ferry, contrairement à la mythologie répandue, a construit son modèle d’école républicaine contre le peuple ! Pour défendre son projet d’école de la république, moins de dix années plus tard, il précise :
« Si cet état de choses se perpétue, il est à craindre que d’autres écoles ne se constituent, ouvertes aux fils d’ouvriers et de paysans, où l’on enseignera des principes totalement opposés, inspirés peut-être d’un idéal socialiste ou communiste emprunté à des temps plus récents, par exemple à cette époque violente et sinistre comprise entre le 18 mars et le 24 mai 1871. »
On comprend mieux pourquoi les réalisations de la Commune ne figurent pas (ou si peu !) dans les manuels scolaires d’aujourd’hui…